Théorie de l’imprévision et commande publique

théorie de l'imprevision

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IMPRÉVISION

Quelles sont les conditions pour invoquer la théorie de l’imprévision ?

Définie au fur et à mesure par la jurisprudence, la théorie de l’imprévision est désormais inscrite dans différents codes. Depuis l’ordonnance du 10 février 2016 (entrée en vigueur le 1er octobre 2016) portant réforme du droit des obligations, un nouvel article 1195 a été intégré dans le code civil, aux termes duquel :« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au Juge de procéder à l’adaptation du contrat. À défaut, une partie peut demander au Juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

Valable en droit des contrats publics également, la définition textuelle de la théorie de l’imprévision a été établie par le code de la commande publique (CCP), entré en vigueur le 1er avril 2019. Son article L. 6, 3° CCP prévoit qu’un contrat puisse être modifié lorsqu’a lieu un événement « extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat ». Dans ce cas, le cocontractant a droit à une indemnité. En échange de celle-ci, ce dernier est tenu de continuer à exécuter le contrat et l’ensemble des obligations qui y sont attachées (CE, 9 décembre 1932, Cie des tramways de Cherbourg, n° 89655 01000 01001).

Quelles sont les évolutions récentes de la théorie de l’imprévision ?

La théorie de l’imprévision présente des similitudes avec la notion de sujétions techniques imprévues. Si celle-ci n’est pas explicitement nommée, elle est toutefois définie de façon (parcellaire) dans le Code de la commande publique.

Ainsi, l’article L. 2194-1 dispose qu’« un marché peut être modifié sans nouvelle procédure de mise en concurrence  […] lorsque : […] 3° les modifications sont rendues nécessaires par des circonstances imprévues ». L’article R. 2194-5 prévoit également que « le marché peut être modifié lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir ».

La notion est d’interprétation stricte. Les sujétions techniques imprévues ne sont reconnues que lorsque certaines conditions cumulatives sont réunies :

Si les sujétions techniques imprévues sont reconnues, le contrat peut subir une modification, sous certaines conditions. Ainsi, la nature globale du contrat doit rester inchangée (art. L. 2194-1et L. 3135-1du CCP). De plus, les travaux, services ou fournitures supplémentaires ne doivent pas entraîner, pour les pouvoirs adjudicateurs, une augmentation du contrat initial supérieur à 50% du montant initial (art. R. 2194-3 et R. 3135-3 du CCP).

Qu’ils répondent à la théorie de l’imprévision ou à la notion de sujétions techniques imprévues, les incidents intervenus au cours de l’exécution d’un contrat ont connu une rupture dans leur appréciation. Avant les recommandations de la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy, confirmées par les dispositions du Code de la commande publique, leur mise en œuvre était indifférente au montant de la modification rendue nécessaire et les évènements constitutifs pouvaient conduire à l’adoption d’un avenant ou d’une décision de poursuivre bouleversant l’économie du contrat ou en modifiant l’objet.

Comment s’opère concrètement la gestion des imprévus ?

Les théories de l’imprévision et des sujétions techniques imprévues ont en commun de permettre aux acheteurs de faire face aux aléas intervenus lors de l’exécution du contrat et d’anticiper les difficultés financières.

Les principaux contrats concernés par ces circonstances sont les délégations de service public. Ce type de contrat étant conclu pour une durée relativement « longue », il semble difficile que les conditions initiales prévues par le contrat puissent être maintenues en l’état jusqu’à son terme. En pratique, des changements de circonstances sont, presque toujours, constatés.

Dès lors, la nouvelle notion de « circonstances imprévues » confère aux acheteurs publics davantage de flexibilité face à la survenance d’un évènement qui ne pouvait être appréhendé à la date de la conclusion du marché. La seule exigence est désormais de rapporter une impossibilité d’anticipation.

La souplesse du régime a un revers : elle a pour désavantage de créer une ambiguïté concernant la qualification des aléas en tant que sujétions techniques imprévues. Ainsi, le juge peut rencontrer des difficultés pour déterminer le cadre juridique applicable et l’éventuelle responsabilité du maître d’ouvrage.

Le code de la commande publique étant silencieux à ce sujet, le juge doit donc se référer à sa propre jurisprudence, en ce qui concerne notamment le calcul du montant de l’indemnisation du sous-traitant (CE, 1erjuillet 2015, n° 383613), l’éventualité d’un avenant de prolongation d’un marché public bouleversant l’économie du contrat (TA de Cergy-Pontoise, 7 mai 2019), etc.

Les brèves de la revue BJCP
L’actualité jurisprudentielle du droit des contrats publics sélectionnée par le comité de rédaction du BJCP.

MARCHÉS PUBLICS

CE 14 juin 2019, Société Vinci construction maritime et fluvial, n°411444

Comment apprécier l’intérêt public local justifiant la candidature d’un département à un marché public ?

Quel est le contrôle sur le prix proposé par la personne publique candidate ?

Collectivité territoriale – Intérêt public local – Appréciation – candidature d’une personne publique – Amortissement d’un équipement – Rentabilisation d’un équipement – Notion économiqued’amortissement. Prix – Intégration des coûts directs et indirects – Offre nettement inférieure à celle des autres candidats – Obligation de solliciter les documents nécessaires – Contrôle du juge – Erreur manifeste d’appréciation.

Si aucun principe ni aucun texte ne fait obstacle à ce que ces collectivités ou leurs établissements publics de coopération se portent candidats à l’attribution d’un contrat de commande publique pour répondre aux besoins d’une autre personne publique, ils ne peuvent légalement présenter une telle candidature que si elle répond à un tel intérêt public, c’est-à-dire si elle constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité ou l’établissement public de coopération a la charge, dans le but notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier, et sous réserve qu’elle ne compromette pas l’exercice de la mission.

Une fois admise dans son principe, cette candidature ne doit pas fausser les conditions de la concurrence. En particulier, le prix proposé par la collectivité territoriale ou l’établissement public de Coopération doit être déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation, sans que la collectivité publique bénéficie, pour le déterminer, d’un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de ses missions de service public et à condition qu’elle puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d’information approprié.

Lorsque le prix de l’offre d’une collectivité territoriale est nettement inférieur à ceux des offres des autres candidats, il appartient au pouvoir adjudicateur de s’assurer, en demandant la production des documents nécessaires, que l’ensemble des coûts directs et indirects a été pris en compte pour fixer ce prix, afin que ne soient pas faussées les conditions de la concurrence.

Si l’offre de la collectivité est retenue et si le prix de l’offre est contesté dans le cadre d’un recours formé par un tiers, il appartient au juge administratif de vérifier que le pouvoir adjudicateur ne s’est pas fondé, pour retenir l’offre de la collectivité, sur un prix manifestement sous-estimé au regard de l’ensemble des coûts exposés et au vu des documents communiqués par la collectivité candidate.

CE 24 juin 2019, Département des Bouches-du-Rhône, n°428866

Peut-on exclure le choix de l’acheteur public qui aurait tenté d’influencer le processus décisionnel lors de la passation d’un précédent marché ?

Passation – Sélection des candidatures et des offres – Exclusion facultative d’un candidat par l’acheteur – Influence sur le processus décisionnel – Possibilité de tenir compte ducomportement du candidat à l’occasion de la procédure en cours ou d’un précédent marché (oui sous conditions).

L’acheteur peut exclure de la procédure de passation  d’un marché public une personne qui peut être regardée, au vu d’éléments précis et circonstanciés, comme ayant, dans le cadre de la procédure de passation en cause ou dans le cadre d’autres procédures récentes de la commande publique, entrepris d’influencer la prise de décision de l’acheteur et qui n’a pas établi, en réponse à la demande que l’acheteur lui a adressée à cette fin, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être mis en cause et que sa participation à la procédure n’est pas de nature à porter atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]