Requalification d’un BEFA en marché public de travaux

Laurent Bidault
Avocat Associé
NovLaw Avocats

Une personne publique peut recourir à un bail en l’état futur d’achèvement – un BEFA – pour louer et exploiter un ouvrage, adapté à ses besoins, sans pour autant en assurer le financement au cours de la construction de celui-ci.

Le recours au BEFA peut donc s’avérer particulièrement utile pour la personne publique qui bénéficiera donc d’un ouvrage sans en supporter le coût immédiatement, lequel sera, d’une certaine façon, lissé sur la durée du contrat en la forme du versement d’un loyer.

Mais gare à ce que le BEFA soit regardé comme un marché public de travaux et qu’il soit annulé en raison du fait qu’il prévoit un paiement différé (en la forme du loyer), prohibé en matière de marché public. C’est ce que rappelle la Cour administrative d’appel de Marseille dans un arrêt en date du 27 février 2023.

Le recours au BEFA

Le BEFA porte sur la location d’un immeuble qui n’a pas encore été construit à la date de conclusion du bail. Dans ce cadre, le preneur (et locataire) a la possibilité de définir en amont de la construction les caractéristiques de l’ouvrage ; tout comme, il peut être prévu une option d’achat à son profit.

Ce contrat – de droit privé – n’est régi par aucune disposition législative ou réglementaire particulière, si ce n’est par les dispositions du code civil et en particulier de son article 1163 qui prévoit qu’un contrat peut porter sur une chose future.

Aussi, de façon concrète, dans un premier temps, l’immeuble sera donc construit, puis dans un second temps, il sera loué au preneur.

Sur ce point, le BEFA se distingue du bail à construction dont l’objet est uniquement de construire et de conserver en bon état d’entretien les constructions édifiées pendant la durée du bail[1].

Précisons pour être exhaustif que le BEFA se distingue également de la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA), laquelle porte sur la vente d’un immeuble à construire et non pas sur la location d’un immeuble à construire.

BEFA et marché public de travaux

La requalification en marché public de travaux constitue le risque principal du recours au BEFA.

Ainsi, il peut être reproché à la personne publique que le contrat de bail qu’elle a conclu, en raison de son objet mais surtout en raison de l’influence qu’elle a pu exercer sur l’ouvrage et ses caractéristiques lors de sa réalisation, doit être regardé comme un marché public, dont la conclusion aurait dû en principe faire l’objet d’une procédure de publicité et de mise en concurrence.

Le juge administratif a en effet eu l’occasion de requalifier un BEFA en marché public de travaux dans la mesure où le bail comprenait, outre la location d’un bien immobilier, des travaux de construction et d’aménagement répondant au besoin de la personne publique, besoin qu’elle avait défini dans un programme fonctionnel[2].

Dans le même sens, la Cour administrative d’appel de Marseille aux termes de son arrêt du 27 février 2023 relève que le contrat de BEFA en cause porte, outre sur la location de plusieurs bâtiments, sur la construction d’un bâtiment « réalisé conformément à une notice descriptive sommaire et un cahier des prestations élaborés par le centre hospitalier et annexés au contrat », pour en conclure que le contrat prévoit la réalisation d’un ouvrage répondant aux besoins exprimés par le centre hospitalier, avec une option d’achat pour ce dernier à l’issue de la période de location, de sorte qu’il constitue, en application des dispositions des articles 4 et 5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, applicables alors au contrat, un marché public de travaux.

Quand l’on sait que l’un des intérêts du BEFA est que le preneur puisse en amont de sa construction définir les caractéristiques de l’ouvrage afin qu’il réponde à son besoin, l’intérêt de recourir au BEFA peut alors s’avérer limité pour la personne publique.

Toujours est-il que le juge éventuellement saisi fait preuve de pragmatisme s’appuyant sur un certain nombre d’indices afin de déterminer l’ « influence » de la personne publique sur l’ouvrage à construire et si celui-ci répond à son besoin.

Historique du projet, initiative publique ou privée du projet, rôle de la personne publique pendant la conception voire la réalisation, nature des demandes de la personne publique (selon par exemple qu’elles portent uniquement sur des aménagements intérieurs et non pas sur la structure architecturale de l’ouvrage[3]), sont autant d’indices qui peuvent ainsi être pris en compte.

Les conséquences de la requalification du BEFA

Dans l’affaire sur laquelle s’est prononcée la Cour administrative d’appel de Marseille, après l’achèvement de la construction objet du bail, le centre hospitalier, qui n’avait pas pris possession des lieux, avait décidé de suspendre le paiement des loyers et saisi le tribunal administratif d’une action en contestation de validité de ce contrat, estimant que les conditions de conclusion du contrat étaient susceptibles de mettre en cause sa responsabilité pénale.

De fait, la requalification du BEFA en marché public conduit à considérer comme illicite toute clause qui méconnaîtrait les règles de la commande publique.

C’est le cas, dans cette affaire, des loyers versés mensuellement par le centre hospitalier qui constituent des paiements différés prohibés.

La Cour rappelle en effet que l’insertion d’une clause de paiement différé est interdite dans les marchés publics passés par l’État, ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics[4].

Ces clauses relatives aux loyers étant indivisibles du contrat de bail, la Cour en conclut que le contenu du contrat est illicite et annule celui-ci.

Pour conclure, on relèvera que la Cour refuse de faire droit aux demandes reconventionnelles de la société bailleresse, estimant que l’annulation du contrat fait obstacle au versement d’une somme quelle qu’elle soit en application du contrat, en l’occurrence les loyers échus.

De même, la demande indemnitaire sur le fondement de l’enrichissement sans cause est rejetée dans la mesure où le centre hospitalier n’a jamais occupé les lieux en cause, ni tiré parti des bâtiments objets du bail.

[1] https://droit-des-contrats-publics.efe.fr/2022/02/16/conclusion-dun-bail-a-construction-sur-le-domaine-public-une-liberte-encadree/

[2] CAA Nancy, 18 novembre 2020, n°20NC02103. Voir également pour une solution similaire : CJUE, 29 octobre 2009, Commission c/ Allemagne, aff. C-536/07.

[3] Voir par exemple : CJUE, 22 avril 2021, Commission c/ Autriche, aff. C-537/19.

[4] Article 60 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics alors applicable ; Article L. 2191-5 du code de la commande publique.