Loi industrie verte et commande publique : quelques évolutions, pas de révolution

La réforme des CCAG, un art de l'exécution

Maxime Büsch
Avocat associé
LexCase

La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 « relative à l’industrie verte » vient tout juste d’être promulguée au Journal officiel du 24 octobre 2023.

Dans le sillage de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 et de la loi EnR du 10 mars 2023, ce texte se donne notamment pour objectif de renforcer la prise en compte des enjeux environnementaux dans la commande publique en mettant l’accent sur la décarbonation.

Se gardant de toute évolution majeure, ce texte de loi procède à de nombreuses retouches de dispositifs existants, que les professionnels devront intégrer à leur pratique.

1/ Deux nouveaux cas facultatifs d’exclusion de la commande publique

Dans une démarche de responsabilisation des opérateurs économiques, le textes introduit deux nouveaux motifs permettant aux acheteurs d’exclure certaines entreprises de leurs procédures de mise en concurrence.

Ces deux motifs d’exclusion présentent un caractère facultatif et il appartiendra donc aux acheteurs de choisir de les instaurer ou non.

D’une part, l’article 25 de la loi habilite le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance sur une possibilité d’exclusion des entreprises ne respectant pas les obligations de publication d’informations en matière de durabilité qui leur incomberont après transposition de la directive n°2022/2464 du 14 décembre 2022 (Directive « CSRD »).

Cette directive, qui doit être transposée dans les trois mois suivant la promulgation de la loi, imposera à compter de 2025 aux grandes entreprises (> de 500 salariés / 40M€ CA et/ou >20M€ de total de bilan) de publier chaque année un reporting concernant leurs risques, opportunités et impacts matériels en lien avec les questions sociales, environnementales et de gouvernance.

Cette obligation sera ensuite progressivement étendue à la plupart des entreprises évoluant sur le marché européen.

D’autre part, l’article 29 de la loi introduit un nouvel article L. 2141-7-2 au sein du code de la commande publique (CCP), qui ouvre la possibilité d’exclure les entreprises ne satisfaisant pas à l’obligation d’établir le bilan des émissions de gaz à effet de serre prévu par l’article L. 229-25 du code de l’environnement.

Pour mémoire, cette obligation de bilan concerne :

  • Les personnes morales de droit privé employant plus de cinq cents personnes ;
  • Dans les régions et départements d’outre-mer, les personnes morales de droit privé employant plus de deux cent cinquante personnes.

À noter que le nouvel article L. 2141-7-2 du CCP se limite à renvoyer à l’article L. 229-25 du code de l’environnement et ne devrait donc pas concerner les entreprises soumises à l’établissement d’un bilan simplifié des gaz à effet de serre en application de l’article 244 de la loi de finances 2021.

2/ Consécration légale de la possibilité de fixer des critères environnementaux dans l’attente de l’entrée en vigueur des dispositions la loi Climat et résilience 

Pour mémoire, la loi Climat et résilience adoptée le 22 août 2021 a d’ores et déjà prévu d’introduire à l’article L. 2152-7 du CCP une obligation de prévoir un critère environnemental dans tous les contrats de la commande publique.

Ces dispositions doivent entrer en vigueur d’ici le 22 août 2026 et la loi ENR du 10 mars 2023 a déjà fixé au 1er juillet 2024 l’entrée en vigueur de l’obligation pour les marchés de d’implantation ou d’exploitation d’installations de production ou de stockage d’énergies renouvelables.

Dans ce cadre, l’article 29 de la loi « industrie verte » instaure une modification transitoire de l’article L. 2152-7 permettant aux acheteurs, sans que ce soit une obligation, de prendre en compte des critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux.

Le texte confère ainsi une portée législative à cette faculté qui était déjà ouverte par l’article R. 2152-7 du CCP, dans l’optique d’anticiper la mise en œuvre des nouvelles dispositions de la loi Climat et résilience.

Sur ce même sujet, il sera noté que le communiqué de presse présentant le projet de loi « industrie verte » lors du conseil des ministres du 16 mai 2023 annonçait que l’entrée en vigueur des dispositions de la Loi Climat et résilience serait avancée au 1er juillet 2024 pour ce qui concerne les produits clés de la décarbonation (voitures électriques, pompes à chaleur). Un décret devrait donc intervenir en ce sens.

3/ Des SPASER plus verts et plus nombreux

Pour mémoire le SPASER (Schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables) est un document réglementaire établi par certains acheteurs, dont l’objet est de fixer des objectifs d’achat en matière sociale et écologique par le biais d’indicateurs précis (art. L. 2111-3 CCP).

Dans ce cadre, l’article 29 de la loi « industrie verte » permet de préciser la nature des objectifs écologiques susceptibles d’être fixés par le SPASER, qui pourront « notamment » viser à réduire les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d’énergie, d’eau et de matériaux, ou à promouvoir la durabilité des produits et la sobriété numérique.

De manière surprenante, le nouveau texte précise également que ces objectifs concernent les « achats de biens et de services », ce qui exclut apparemment les travaux.

La loi permet également d’étendre le champ des acheteurs soumis à l’élaboration d’un SPASER.

Auparavant, seuls les collectivités territoriales et les acheteurs soumis au CCP dotés d’un statut législatif (par exemple : SNCF) dont le montant annuel d’achat était supérieur à un montant fixé par décret (50 000 000 € HT actuellement) étaient soumis à l’élaboration de ce document.

Désormais, tout acheteur relevant du CCP est soumis à l’obligation d’élaboration d’un SPASER dès lors qu’il dépasse le seuil d’achat fixé par décret.

Enfin le texte permet désormais à plusieurs acheteurs de mutualiser un SPASER, y compris de manière spontanée pour les acheteurs non contraint au regard de leur montant annuel d’achat.

4/ Des assouplissements bienvenus pour les entités adjudicatrices

Le texte instaure enfin plusieurs ajustements visant à assouplir la réglementation applicable aux entités adjudicatrices.

Premièrement, ces dernières bénéficieront désormais d’un nouveau cas de non-allotissement, lorsque la dévolution en lot séparé « risque de conduire à une procédure infructueuse » (art. L. 2125-1 du CCP modifié par l’article 27 de la loi).

Deuxièmement, le texte ouvre une nouvelle possibilité de conclure un accord cadre de plus de huit ans pour les entités adjudicatrice en cas de « risque important de restriction de concurrence ou de procédure infructueuse» (Art. L. 2113-1 du CCP modifié par l’article 26 de la loi).

Troisièmement, les entités adjudicatrices pourront désormais accepter les offres « package » et permettre aux candidats de présenter des offres variables suivant le nombre de lots susceptibles d’être obtenus. Il s’agit donc d’un retour partiel à ce mécanisme initialement prévu par l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015  relative aux marchés publics, puis très rapidement supprimé par la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016.

Le montant des marchés susceptibles de bénéficier de cette dernière disposition doit néanmoins être précisé par voie réglementaire (cf. art. L. 2125-1 du CCP modifié par l’article 28 de la loi).

Quatrièmement et enfin, le texte instaure la possibilité pour les entités adjudicatrices de rejeter les offres présentées dans le cadre d’un marché de travaux ou de fournitures au sein desquelles les produits originaires d’un pays tiers à l’Union européenne avec lequel aucun accord de réciprocité n’a été conclu représentent une part majoritaire de la valeur totale des produits (art. 29-V de la loi).

Un dispositif similaire était déjà prévu dans le cadre de la loi EnR du 10 mars 2021, mais il était alors limité aux marchés de fournitures ou de travaux d’installations ou d’équipements de production ou de stockage d’énergies renouvelables (art. 90 de la loi EnR du 10 mars 2021).