Loi Industrie verte, principe et exceptions

Marchés privés de travaux et commande publique

Kévin Holterbach
Fidal
Avocat associé
Spécialiste en droit public
Qualification spécifique en droit des contrats publics

La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte a été publiée au Journal officiel le 24 octobre 2023. Adoptée à la suite d’une procédure accélérée, elle poursuit l’objectif – économique – de réindustrialiser (par la réimplantation d’industries) la France, tout en respectant « l’exigence climatique »[1]. Schématiquement, l’idée est donc de favoriser la réimplantation d’industries « vertueuses ».

À cet égard, il est quelque peu surprenant qu’elle comprenne un titre entier dédié à la commande publique. En effet, quand bien même cette dernière figure au nombre des leviers, identifiés par le législateur, devant permettre d’impulser un cercle vertueux en matière de développement durable et d’économie circulaire, il ne faudrait pas non plus faire reposer tous les enjeux d’une telle transition sur les seuls acheteurs publics.

Quoiqu’il en soit, ces nouvelles dispositions méritent l’attention. En effet, en théorie, la loi devait doter les acheteurs publics de nouveaux outils, censés leur permettre de favoriser les entreprises vertueuses et/ou de défavoriser celles qui ne le sont pas, lors de futures consultations[2].

En pratique, si la loi créée effectivement de nouvelles hypothèses d’exclusion, reposant majoritairement sur l’idée d’écarter des consultations les entreprises non vertueuses (II), elle ne contient, en miroir, aucun mécanisme permettant de favoriser les entreprises vertueuses, mais aboutit plutôt à créer plusieurs nouvelles dérogations à des principes pourtant stables de la commande publique, dont l’utilisation n’est par ailleurs ni liée à l’objet industriel du marché, ni au caractère vertueux des soumissionnaires (I).

I. Méli-mélo de dérogations à des principes stables, nouvelles modifications des SPASER et une disposition inutile en matière de critères de sélection des offres

le législateur instaure :

  • Une nouvelle hypothèse permettant de déroger au principe de l’allotissement[3].

Réservé aux seules entités adjudicatrices, le recours à un marché global est désormais possible « lorsque la dévolution en lots séparés risque de conduire à une procédure infructueuse ». Outre que l’on voit mal en quoi un tel mécanisme permettrait de « favoriser les entreprises vertueuses », il convient d’ores et déjà ici d’alerter sur la nécessité d’une démonstration étayée et objective quant à un tel risque.

Certes, les entités adjudicatrices n’ont pas à faire figurer les motifs d’un tel choix dans les documents de la consultation[4], mais il n’en reste pas moins que ce choix doit être motivé (le dernier alinéa de l’article L. 2113-11 disposant que « lorsqu’un acheteur décide de ne pas allotir le marché, il motive son choix en énonçant les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de sa décision. »), les motifs devant être conservés au sein des archives de l’entité adjudicatrice.

À défaut, il sera extrêmement difficile de défendre au recours de l’opérateur qui plaidera la restriction artificielle de la concurrence. Le recours à un AMO technique et juridique semble, à cet égard, indispensable.

  • La possibilité, là encore strictement réservée aux seules entités adjudicatrices, de conclure des accords-cadres d’une durée supérieure à huit ans

Cette durée dérogatoire doit être justifiée « par un risque important de restriction de concurrence ou de procédure infructueuse ». Sur ce point, la loi ne contient pas non plus de méthodologie de démonstration d’un tel risque, de sorte que nous ne pouvons que recommander la plus grande prudence (cf. infra).

  • La possibilité de présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus

En d’autres termes, la possibilité, notamment, de prévoir un prix dégressif, ou minoré, en fonction du nombre de lots obtenus.

Cette disposition ne manquera pas de rappeler aux observateurs aguerris la possibilité instaurée par l’ordonnance de transposition de la Directive 2014/24/UE[5], supprimée après seulement huit mois par la loi Sapin II [6].

Néanmoins, il ne s’agit pas tout à fait d’un retour en grâce de cette ancienne disposition, la loi en réservant l’utilisation aux seuls marchés formalisés des entités adjudicatrices.

  • Plusieurs modifications au niveau des SPASER

Par soucis de concision, nous en citerons les deux principales :

D’une part, le champ d’application organique est – enfin[7] – modifié : le flou byzantin des « collectivités territoriales et les acheteurs soumis au présent code dont le statut est fixé par la loi » cède donc la place à la notion des « acheteurs soumis au (…) code [de la commande publique] » dont le montant total annuel des achats est supérieur à 50 millions d’euros.

Cela signifie donc, et ce n’est pas transparent, que, désormais, tous les acheteurs publics sont concernés, de même que les acheteurs privés de la commande publique (SEM, SEMOP, SPL, associations…) par l’obligation d’établir un SPASER, en cas de dépassement du seuil précité.

D’autre part, il est désormais possible pour les acheteurs (y compris ceux pour qui le SPASER n’est pas obligatoire) d’établir un SPASER conjoint, c’est-à-dire mutualisé, pour autant que les « indicateurs précis, exprimés en nombre de contrats ou en valeur »[8] soient clairement distingués pour chaque acheteur.

  • Enfin, peut-être afin d’insister encore un peu plus sur l’imminence du grand bouleversement en matière de critères de sélection des offres[9], l’article L. 2152-7 du code de la commande publique reproduit désormais exactement la même rédaction que son pendant réglementaire[10], à savoir que le choix de l’offre peut être fondée sur « une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. ».

La même « logique » a été appliquée aux contrats de concession[11]. Un tel alignement de la loi sur le règlement est néanmoins parfaitement inutile, ce que n’avait pas manqué de rappeler le Conseil d’État dans son avis du 17 mai 2023 sur le projet de loi…Cette disposition ne change donc strictement rien, l’échéance du 22 août 2026 restant donc d’actualité s’agissant des critères environnementaux obligatoires.

II. Plusieurs nouveaux motifs d’exclusion

Conformément donc à ce qu’annonçait l’exposé des motifs du projet de loi, la loi prévoit plusieurs nouveaux motifs (facultatifs) d’exclusion, cette fois liés au comportement de l’entreprise face aux enjeux du développement durable.

  • Ainsi, sera inséré au code de la commande publique, sous trois mois (soit d’ici à la fin janvier 2024) un nouveau motif d’exclusion des opérateurs économiques qui méconnaîtront l’obligation de publication d’informations en matière de durabilité qui leur incombera après transposition de la directive n° 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 (future mention obligatoire des rapports de gestion, ce qui signifie donc que ce motif d’exclusion ne concernera que les moyennes et grandes entreprises).
  • Pour les marchés publics et les concessions, un nouveau motif d’exclusion facultatif, concernant « les personnes soumises à l’article L. 229-25 du code de l’environnement qui ne satisfont pas à leur obligation d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence ou d’engagement de la consultation. »

Il s’agit ici principalement, d’une part, des personnes morales de droit privé employant plus de 500 personnes et d’autre part, de « L’État, les régions, les départements, les métropoles, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération et les communes ou communautés de communes de plus de 50 000 habitants ainsi que les autres personnes morales de droit public employant plus de deux cent cinquante personnes » qui peuvent bien sûr soumissionner à des contrats de la commande publique, sous réserve du respect des conditions posées par la jurisprudence[12].

Ce nouveau motif n’est applicable qu’aux contrats pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel à la concurrence a été envoyé à compter de la publication de la loi commentée.

  • Un élargissement du champ du motif d’exclusion facultatif créé par la Loi Climat et résilience [13], applicable aux entreprises qui n’établissent pas de plan de vigilance, ou dont le plan de vigilance ne comprendrait pas l’intégralité des mesures listées par l’article L. 225-102-4 du code de commerce.

En effet, la précision selon laquelle « une telle prise en compte ne peut être de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement ou économiquement difficile l’exécution de la prestation » a disparu du code de la commande publique[14].

  • En sus, la loi prévoit une nouvelle possibilité, pour les entités adjudicatrices, de rejeter une offre, vraisemblablement sans examen, sans pour autant que cette offre ne soit irrégulière, inacceptable ou inappropriée: « Lorsqu’une offre présentée dans le cadre de la passation (…) d’un marché de fournitures ou d’un marché de travaux de pose et d’installation de ces fournitures contient des produits originaires de pays tiers avec lesquels l’Union européenne n’a pas conclu, dans un cadre multilatéral ou bilatéral, d’accord assurant un accès comparable et effectif des entreprises de l’Union européenne aux marchés de ces pays ou auxquels le bénéfice d’un tel accord n’a pas été étendu par une décision du Conseil de l’Union européenne, cette offre peut être rejetée lorsque les produits originaires des pays tiers mentionnés au présent V représentent la part majoritaire de la valeur totale des produits qu’elle contient. »

Les conditions d’application de cette disposition, qui a vraisemblablement plus pour objet de protéger la compétitivité des entreprises françaises que l’environnement, seront « fixées par voie réglementaire ».

En définitive, si la loi relative à l’industrie verte contient de nouvelles dispositions loin d’être inintéressantes, il est toutefois regrettable de constater que le législateur persiste à traiter le sujet de la commande publique durable par petites touches impressionnistes, ce qui ne manque pas de nuire à l’intelligibilité de l’ensemble, pourtant indispensable à atteindre les objectifs ambitieux fixés par l’État (via le PNAD et la Loi Climat et résilience).

[1] Cf. exposé des motifs du projet de loi

[2] Cf. exposé des motifs du projet de loi

[3] Cf. L.2113-11 du code de la commande publique

[4] Cf. R. 2113-3 du code de la commande publique

[5] Cf. article 32 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015

[6] LOI n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

[7] Voir, sur ce point, « Marchés publics – Décret Climat et résilience : le renouveau du Spaser ? » Le Moniteur – 29 juillet 2022

[8] Cf. art. L. 2111-3 alinéa 3 du code de la commande publique

[9] Critère environnemental obligatoire à compter du 22 août 2026

[10] Cf. Art. R. 2152-7 du code de la commande publique

[11] La formulation de l’article R. 3124-4 a été reproduite à l’article L. 3124-5 du code de la commande publique

[12] Voir CE, avis, 8 novembre 2000, Jean-Louis Bernard Consultants, n° 222208, publié au Recueil ; CE, 30 décembre 2014, société Armor SNC, n° 355563, publié au Recueil

[13] LOI n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

[14] Cf. art. L. 2141-7-1 du code de la commande publique